Pierre et béton : les architectes secrets de notre eau
Se laver les mains, prendre une douche, faire sa vaisselle, se rafraichir avec un grand verre d’eau… Des gestes simples, évidents, de notre quotidien, presque automatiques. Pourtant, derrière chacun d’eux se cache une incroyable chaîne de savoir-faire, de technologies… et de matériaux ! Car pour que l’eau circule, soit traitée, stockée, redistribuée en toute sécurité, il faut des infrastructures solides, durables, souvent invisibles mais essentielles. Depuis l’Antiquité, les Hommes ont utilisé la pierre et le béton pour maîtriser les flux et garantir un accès à cette ressource vitale. Aujourd’hui encore, ces matériaux sont au cœur de notre quotidien, garants d’un aménagement du territoire à la fois performant, fiable et tourné vers l’avenir. La Vie en Pierre vous propose un voyage au fil de l’eau, à la découverte de ces ouvrages, parfois insoupçonnés, qui nous simplifient pourtant tellement la vie.
Antiquité : quand la pierre commence à apprivoiser l’eau
Dès l’Antiquité, la pierre devient une alliée précieuse pour répondre à un défi essentiel : acheminer l’eau là où elle ne coule pas naturellement. Les civilisations romaines ont fait preuve d’une grande ingéniosité en imaginant les premiers réseaux hydrauliques structurés que sont les aqueducs. Des ouvrages en pierre qui s’appuient sur un principe aussi simple qu’efficace : utiliser la gravité, en créant un canal en pente douce, pour faire cheminer l’eau depuis une source parfois lointaine jusqu’aux villes. D’où son nom qui vient du latin aqua (eau) et ducere (conduire).
Si les Romains ont choisi la pierre, ce n’est pas un hasard ! Matériau local par excellence, elle était disponible en grande quantité sur l’ensemble des territoires, facile pour approvisionner les chantiers. Mais c’est surtout ses qualités mécaniques et sa durabilité qui en ont fait un matériau de choix. En effet, elle résiste à la pression, au ruissellement et à l’épreuve du temps. De quoi construire des aménagements pérennes pour acheminer, grâce à la pierre, l’eau au service de tous. Paris réussi ! Certains de ces édifices sont encore debout aujourd’hui.
Un aqueduc hors normes pour Nîmes
En France, le plus célèbre des aqueducs est sans doute celui du Pont du Gard en Occitanie. Construit vers 50 après Jésus-Christ, il a alimenté la ville de Nîmes pendant 1500 ans. Considéré aujourd’hui comme l’un des vestiges romains les mieux conservés au monde, cet aqueduc a des dimensions impressionnantes : 49 mètres de haut et 275 mètres de long pour un poids total de 50 000 tonnes. Son originalité vient de ses 3 rangées d’arches superposées. Ses performances sont aussi incroyables puisqu’il pouvait acheminer par gravité 30 000 à 40 000 m3 d’eau courante par jour. Une prouesse rendue possible grâce à une pierre locale particulièrement adaptée à la taille : le calcaire coquillier de la carrière de l’Estel. En tout, ce sont 11 millions de blocs qui ont été utilisés pour l’ensemble de l’aqueduc. À la même époque, dans la cité nîmoise, thermes et fontaines se sont alors multipliées, faisant croître le prestige de la ville.
Autre géant des pierres du sud
À Fontvieille (13), près d’Arles, les Romains ont construit un autre édifice tout aussi impressionnant : les aqueducs et moulins de Barbegal. Ce grand ensemble, vieux de près de 2 000 ans, est souvent considéré comme la plus puissante installation industrielle de l’Antiquité. L’eau acheminée par l’aqueduc servait à faire tourner des moulins à eau, qui pouvaient produire jusqu’à 4,5 tonnes de farine par jour ! De quoi nourrir toute une ville. Une prouesse technique et logistique incroyable… dès le 2ᵉ siècle après J.-C.
Pierre et la pluie
La pierre a également permis au fil des siècles et des contrées de tirer le meilleur parti d’une ressource précieuse : la pluie. Dans les villas antiques, comme à Vaison-la-Romaine (84), l’impluvium récupérait l’eau de pluie via un toit incliné vers une cour centrale. Cette eau, collectée dans un bassin en pierre, était ensuite filtrée et stockée dans une citerne, souvent tapissée d’un béton à base de terre cuite pilée.
Plus tard, sur les plateaux calcaires du Massif Central, l’homme aménageait des lavognes, sorte de cuvettes naturelles étanchées à l’argile ou pavées de pierre. Elles permettaient d’abreuver les troupeaux.
Fontaines : l’eau et la pierre deviennent monument
Malgré toute cette ingéniosité, l’eau courante, telle qu’on la connait aujourd’hui, n’est rendue possible qu’à partir de la fin du 19e siècle. Jusqu’alors, l’eau est restée accessible aux populations via les fontaines et les puits.Généralement construites en pierre locale, beaucoup de fontaines sont encore visibles aujourd’hui. Certaines sont même devenues de véritables emblèmes de leur ville ou de leur village.
C’est le cas par exemple de la Fontaine des Éléphants à Chambéry (73), élue plus belle fontaine de France en 2023 et surnommée « les quatre sans-cul ». Elle est construite en pierre calcaire de Saint-Sulpice, issue des carrières de la colline de Lémenc, à quelques kilomètres de la capitale savoyarde. À Aix-en-Provence (13), la fontaine des 4 Dauphins fut installée au 17e siècle au moment de la construction de ce nouveau quartier de la ville pour assurer son approvisionnement en eau. Sa colonne de style baroque est conçue en pierre froide de la Sainte-Baume, massif de la région.
Enfin, la Fontaine des Trois Grâces installée en 1869 au centre de la Place de la Bourse à Bordeaux, se distingue par son piédestal en marbre du Jura et son entourage en pierre calcaire de Massangis, extraite dans la région de l’Yonne. Deux matériaux esthétiques et résistants.
L’eau courante, une révolution en pierre et béton
Il faut attendre le 19e siècle pour que l’eau arrive enfin au robinet. Une révolution dans le quotidien des Français. À Paris d’abord, puis dans les grandes villes comme Marseille, Lyon ou Toulouse, d’immenses travaux sont lancés pour construire des réseaux de canalisations capables d’apporter l’eau potable directement dans les immeubles. Ces réseaux s’appuient largement sur des matériaux minéraux : la pierre pour les puits et réservoirs, la brique et le béton pour les conduites, ou encore la pierre taillée pour les ouvrages souterrains.
Au même moment, les villes découvrent le tout-à-l’égout : un système d’évacuation des eaux usées par des canalisations enterrées, qui permet de mieux protéger la santé publique. C’est aussi à cette époque que naissent les premiers systèmes de filtration sur sable, un autre usage intelligent de la matière minérale, pour purifier l’eau avant sa distribution. Mais cette transformation reste longtemps réservée aux villes. En 1930, seules 23 % des communes françaises disposent d’un réseau d’eau potable à domicile. Le confort de l’eau courante ne sera vraiment généralisé qu’après la Seconde Guerre Mondiale.
Canaux, barrages : maîtriser l’eau et les territoires avec les minéraux
Si l’eau est devenue accessible chez soi au 19e siècle, elle joue depuis bien plus longtemps un rôle clé dans l’organisation des territoires. Pour la maîtriser à grande échelle, l’Homme a inventé les canaux, véritables artères hydrauliques. Qu’ils soient navigables ou dédiés à l’irrigation, ces cours d’eau artificiels témoignent d’un savoir-faire remarquable, où la pierre locale, taillée et assemblée, reste au cœur des ouvrages.
Dans l’Hérault, le canal de Gignac par exemple, a été creusé à la fin du 19e siècle en pierre calcaire et mortier de chaux. Il irrigue encore plus de 3 000 hectares de cultures aujourd’hui. Plus récent, le canal de Provence alimente en eau potable 3 millions de personnes grâce à une infrastructure de 270 km, reposant, elle aussi, sur des matériaux minéraux durables.
Autre ouvrage hydraulique emblématique : le barrage. Érigé à travers une vallée, il sert à retenir une grande quantité d’eau pour mieux la gérer, prévenir les inondations, alimenter les villes en eau potable, irriguer les cultures ou produire de l’électricité. Exemple marquant : le barrage du lac de Migouélou (65), construit en 1959 dans les Hautes-Pyrénées. Avec ses neuf voûtes en béton armé, il retient près de 17 millions de m³ d’eau, perchés au cœur du relief granitique. L’accès étant difficile, les matériaux ont été acheminés à dos de mulet ou par monte-charge. Une vraie prouesse technique, qui montre à quel point la maîtrise de la pierre et du béton permet de mettre l’eau au service des territoires, même dans les conditions les plus extrêmes.
Et aujourd’hui : le béton, pilier du cycle de l’eau
La pierre joue un rôle essentiel depuis des millénaires dans l’acheminement et la préservation de l’eau. Aujourd’hui, le béton joue lui aussi un rôle important. C’est le matériau le plus utilisé pour les ouvrages liés au cycle de l’eau, des châteaux d’eau aux stations d’épuration, en passant par les réservoirs d’eaux pluviales ou les canalisations. Pourquoi ce choix ? Parce que le béton est, durable Il résiste au gel, aux produits chimiques, et permet de protéger les nappes phréatiques. « C’est un matériau incontournable pour ce type d’infrastructure », résume Johann Gelot, spécialiste des bétons chez Vicat.
Par exemple, dans les bassins de traitement, un hydrofuge est ajouté dans le béton pour éviter que l’eau polluée ne s’infiltre dans le sol. Partout en France, les collectivités s’appuient ainsi sur le béton pour construire des réseaux fiables et durables. Le pays compte aujourd’hui près de 3 000 usines de traitement d’eau, 14 000 sites de production, 15 000 réservoirs et plus de 850 000 km de canalisations, pour l’essentiel en béton. Des infrastructures invisibles, mais vitales, qui garantissent à chacun une eau propre et accessible.
Zoom sur le béton drainant : l’eau coule, la ville respire
Longtemps pensé pour être étanche, le béton se réinvente aujourd’hui avec une nouvelle fonction : laisser passer l’eau. C’est le principe du béton drainant, un matériau innovant apparu il y a une dizaine d’années, conçu pour absorber les eaux de pluie. Il peut drainer jusqu’à 200 litres d’eau par m², tout en filtrant certaines pollutions à la surface. Dans les villes, il permet de créer des chaussées réservoirs : l’eau s’infiltre directement sous la surface, sans canalisation, et rejoint lentement la nappe phréatique. Le principal avantage du béton drainant est en effet de ne pas nécessiter de systèmes complexes d’évacuation de l’eau. L’eau s’infiltre là où elle tombe tandis que la pollution reste piégée dans la structure poreuse.
Ce système réduit les risques d’inondation et allège les réseaux urbains. Et ce n’est pas tout : le béton drainant évite les flaques, réduit les îlots de chaleur et peut être personnalisé dans différentes couleurs ou textures pour s’intégrer au paysage.
Grégory Charpenet, manager des bétons spéciaux chez Vicat, se souvient d’un chantier mené en 2023 en Bourgogne au départ de la centrale de Digoin. « Pour aménager les 1 600 m² de la place de Saint-Bonnet-de-Joux, trois formulations de béton drainant désactivé bas carbone ont été retenues. Ces bétons devaient permettre d’infiltrer les eaux de ruissellement directement dans le sol et désengorger le réseau communal d’évacuation des eaux usées. C’est aussi une manière de mieux structurer l’espace urbain en garantissant une meilleure accessibilité. » Sur ce chantier, 280 m3 de béton drainant ont ainsi été mis en œuvre.
Des aqueducs antiques aux réseaux urbains les plus modernes, la pierre, le béton et les matériaux minéraux ont su se réinventer pour guider, filtrer, stocker l’eau dont nous dépendons chaque jour. Ils ont accompagné l’histoire de nos civilisations… et s’apprêtent encore à relever les défis climatiques de demain. À l’heure où chaque goutte compte, ces matériaux locaux, résistants et durables restent plus que jamais au cœur des solutions d’avenir. Parce que l’eau est précieuse, elle mérite des fondations solides.