Les carrières : une opportunité pour la biodiversité
Les études scientifiques menées depuis une vingtaine d’années ont révélé la richesse du patrimoine écologique des carrières. Des espèces menacées trouvent un refuge dans les carrières qui leur offrent des milieux naturels devenus rares.
Biodiversité et carrières, quand les scientifiques lèvent les idées reçues.
Données chiffrées
L’UNICEM a publié les résultats d’une vaste étude sur la biodiversité dans les carrières de roches massives. Ce travail fait suite à l’étude lancée sur le patrimoine écologique des zones humides issues de l’exploitation des carrières de roches meubles.
Ces travaux de recherche menés par l’industrie des carrières avec la communauté scientifique (CNRS, Muséum National d’Histoire Naturelle, universités, cabinets d’experts indépendants…) ont consisté à dresser des inventaires des espèces animales et végétales rencontrées, ainsi que des écosystèmes créés.
Les carrières de roches massives sont propices aux espèces pionnières
Des inventaires écologiques ont été menés sur 35 carrières de roches massives (dont la moitié en activité) dans le cadre d’une étude à l’initiative de l’UNICEM et de l’UNPG (Union Nationale des Producteurs de Granulats), en partenariat avec le SFIC (Syndicat Français de l’Industrie Cimentière) et le syndicat de la chaux.
Cette étude a été réalisée par le cabinet ENCEM sous la direction d’un comité scientifique incluant le Muséum National d’Histoire Naturelle.
En voici les principaux résultats :
La faune
- 362 espèces animales recensées, dont 164 à forte valeur patrimoniale***
- 121 espèces d’oiseaux, soit 45 % des oiseaux présents en France
- 19 espèces de reptiles, soit 51 % de ces espèces présentes en France
- 16 espèces d’amphibiens, soit 50 % de ces espèces présentes en France
- 81 espèces de sauterelles et criquets, soit 41 % de ces espèces présentes en France
La flore
- 1092 espèces ont été recensées, dont 96 à forte valeur patrimoniale
Pour les groupes biologiques recensés, cette étude met en évidence que les carrières inventoriées abritent de 35 à 55 % des espèces animales présentes sur le territoire national.
Cette grande diversité biologique s’accompagne d’une richesse patrimoniale importante. En effet, les écologues ont répertorié en moyenne, dans chaque carrière, 13,5 espèces (végétales et animales) à forte valeur patrimoniale.
Ces résultats placent ces sites à un niveau équivalent à celui d’une ZNIEFF (Zone Naturelle d’Intérêt Écologique Faunistique et Floristique) de type 1 (secteurs de très grande richesse patrimoniale).
Comment expliquer que des milieux d’apparence souvent « aride » renferment une telle richesse biologique ?
Les fronts de taille, carreaux, bassins et remblais qui composent une carrière de roches massives sont colonisés par une faune et une flore pionnières, donc originales, qui trouvent là des conditions favorables à leur développement.
En créant des habitats proches de ceux des milieux rocheux naturels, la carrière introduit une rupture dans le paysage agricole ou forestier qui l’entoure.
Une rupture au niveau du sol avec la mise à nu du substrat minéral, mais aussi une rupture topographique, climatique et hydrique – avec des mares fréquentes sur les carreaux, et des plans d’eau de fosses notamment.
Les écologues constatent aussi que la pression exercée par l’homme sur la faune et la flore des carrières est plus faible que dans les environs, ce qui contribue à faire de ces sites de relatives « zones de quiétude » pour la nature.
Les zones humides issues de carrières accueillent les oiseaux d’eau
L’UNICEM a lancé en 1995 une étude sur le patrimoine écologique des zones humides issues de l’exploitation des carrières. Dans le cadre de cette étude réalisée par le cabinet Écosphère, sous l’égide du Muséum National d’Histoire Naturelle et du CNRS, 17 sites de carrières en eau ont été inventoriés dans les 6 bassins hydrographiques du territoire national.
Ont été recensés :
- 132 espèces d’oiseaux nicheurs, soit 48 % des oiseaux nicheurs de France, dont 28 espèces nicheuses considérées comme rares, voire très rares
- 17 espèces de reptiles, soit 45 % des espèces présentes en France, dont 5 espèces de reptiles menacées
- 16 espèces d’amphibiens, soit 52 % des espèces présentes en France, dont 5 espèces d’amphibiens menacées,
- 52 espèces de libellules, soit 45 % des espèces françaises,
- 26 espèces végétales protégées.
Les zones humides étudiées abritent environ la moitié des espèces connues nationalement. 90 % des espèces d’oiseaux d’eau présentes en France fréquentent ces sites en hivernage ou en halte migratoire.
Dans les carrières alluvionnaires, l’extraction de matériaux et les travaux de réaménagement créent des étendues aquatiques et marécageuses. Ces milieux sont colonisés par une faune et une flore menacées par la disparition des zones humides « naturelles ».
Ils sont particulièrement précieux pour les oiseaux d’eau qui peuvent y nicher et s’y nourrir, notamment en période migratoire. Ils sont également propices à la reproduction des amphibiens et à certaines espèces végétales rares.
Témoignages de scientifiques
La compatibilité de l’activité de carrière avec la préservation de la biodiversité est reconnue par des scientifiques de renom.
Pour Jean-Claude Lefeuvre, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle :
« Il est possible d’exploiter des carrières en respectant l’environnement. Les systèmes artificiels ainsi créés peuvent même aider à compenser une partie des pertes de biodiversité que l’on observe en France ».
Le professeur Bernard Frochot, président du Comité scientifique régional du patrimoine naturel de Bourgogne, ajoute :
« Outre les milieux créés par chaque carrière, le nombre et la proximité des sites d’extraction permettent d’atteindre des habitats de dimension favorable à l’installation de nombreuses espèces ».
Sauvegarde des espèces menacées : exemples
Les carrières : des milieux naturels rares où des espèces menacées trouvent refuge
Nous présentons ici quelques exemples d’espèces menacées, emblématiques des carrières : deux espèces qui trouvent refuge dans les carrières de roches massives, ainsi que trois autres qui profitent des zones humides issues de carrières.
Quelques milieux écologiques présents sur les carrières et particulièrement remarquables pour leur biodiversité sont ensuite passés en revue :
- les roselières, habitat fréquent dans les carrières en eau,
- les fronts de taille et éboulis, habitat caractéristique des carrières de roches massives,
- les fronts de taille sableux, présents dans les carrières de roches meubles.
Espèces menacées qui trouvent refuge dans les carrières de roches massives : deux exemples
Grand corbeau
Chassé des falaises littorales par la pression touristique et menacé de disparition en Bretagne, le Grand corbeau a trouvé refuge dans les carrières. Dans cet habitat de substitution, il dispose de pans de falaise comparables aux conditions naturelles. Sur les 35 couples recensés dans la région, 22 couples nichent en carrière (données 2007).
Crapaud calamite
Espèce pionnière (l’une des premières à coloniser un milieu), le Crapaud calamite se reproduit dans de petits plans d’eau, mares ou flaques non végétalisées sur substrat minéral (sables, graviers).
Les écologues l’ont trouvé dans les carrières de roches massives, mais aussi dans celles de roches alluvionnaires (sur 10 des 17 sites de zones humides étudiés). Cette fréquence traduit l’intérêt particulier que présentent les carrières pour cette espèce peu répandue, protégée au niveau national.
Espèces menacées qui trouvent refuge dans les zones humides issues de carrières : trois exemples
Petit gravelot
Le Petit Gravelot se reproduit sur les terrains caillouteux sans végétation, non loin de berges ou de zones humides peu profondes.
Cette espèce typique des cours d’eau actifs se rencontre maintenant régulièrement dans les carrières où elle retrouve des milieux favorables. C’est une des espèces les plus favorisées par les gravières.
Grèbe castagneux
Cet oiseau colonise surtout les plans d’eau assez récents. Il niche dans les ceintures de végétation inondées (roselières, saulaies inondées…) en bordure d’eau.
Alors qu’il est considéré comme rare en France, environ 50 couples ont été inventoriés sur 13 sites de carrière, dont 25 sur une seule carrière du Loiret.
Hottonie des marais
Cette plante se développe sur les grèves des plans d’eau peu profonds à niveau variable. C’est l’une des 6 espèces protégées en Rhône-Alpes identifiées lors des inventaires écologiques menés dans des zones humides issues de carrières.
L’Hottonie des marais est également présente sur les anciennes carrières en eau de Lorraine où il s’agit d’une espèce régionalement rare.
Les roselières, habitat remarquable des carrières en eau
L’extraction de matériaux dans les carrières alluvionnaires, et les travaux de réaménagement, créent des étendues aquatiques et des milieux humides plus ou moins inondables.
Ces espaces sont colonisés par une faune et une flore souvent menacées par la disparition des zones humides « naturelles ».
Les inventaires écologiques réalisés par des scientifiques sur 17 zones humides issues de carrières montrent la richesse de leur végétation et leur intérêt pour la nidification et le stationnement migratoire des oiseaux d’eau, ainsi que pour la reproduction de certains amphibiens.
Habitat caractéristique de ces zones humides, les roselières qui se développent sur les berges des plans d’eau abritent plusieurs espèces de hérons (dont le Blongios nain), des grèbes, des canards, des fauvettes aquatiques… On peut également y trouver des espèces végétales d’intérêt, comme le Butome en ombelle.
Le Blongios nain
Le Blongios nain est un petit héron des zones marécageuses nichant dans les roselières et jeunes saulaies inondées. Cette espèce rare et en régression en France, présente dans la liste française des espèces menacées, a été observée sur 3 des 17 zones humides issues de carrières inventoriées, dans le sud de la France.
Le Butome en ombelle
Le Butome en ombelle vit dans les grandes roselières au bord des eaux stagnantes ou faiblement courantes et dans les lieux marécageux. Cette espèce est aujourd’hui protégée dans sept régions.
Au cours des inventaires réalisés sur des zones humides issues de carrières, les écologues ont trouvé le Butome en ombelle sur 3 sites, notamment en Franche-Comté où il est protégé.
Gros plan sur les fronts de taille et les éboulis, habitats remarquables des carrières de roches massives
L’extraction de matériaux dans les carrières de roches massives induit la formation de parois rocheuses verticales. Les inventaires écologiques menés par des scientifiques sur 35 carrières de roches massives* ont révélé l’intérêt de cet habitat.
Plusieurs espèces d’oiseaux naturellement inféodés aux milieux rocheux viennent nicher sur ces falaises artificielles si les caractéristiques physiques (hauteur, exposition, présence de corniches…) leur conviennent : Grand-Duc d’Europe, Faucon crécerelle, Rougequeue noir…
Au pied des fronts s’accumulent des éboulis qui offrent des conditions d’humidité et de chaleur recherchées par des amphibiens comme le Crapaud accoucheur et par des reptiles comme le Lézard ocellé.
Le Lézard ocellé
Le Lézard ocellé (Timon lepidus) est le plus grand lézard d’Europe : il peut atteindre 80 cm de long. Suite à sa forte régression, l’espèce figure sur la liste rouge des reptiles menacés en France (UICN**, 2008) et revêt un enjeu patrimonial particulièrement fort. Il a été observé dans plusieurs carrières méditerranéennes de l’échantillon d’étude.
Le Grand-Duc d’Europe
Le Hibou Grand-Duc (Bubo Bubo) est l’un des plus grands rapaces nocturnes d’Europe. Il vit plus de 20 ans. Victime du recul ou de la dégradation de son habitat naturel, cette espèce rare et protégée figure sur la liste rouge des oiseaux menacés en France.
Après un déclin important de ses populations au XXème siècle, cet oiseau discret réinvestit progressivement son territoire, notamment à la faveur des carrières. C’est un hôte fréquent des carrières dotées de falaises artificielles ou d’abris rocheux où il niche. Ainsi, les trois quarts des couples connus de Bourgogne se reproduisent en carrières.
* Étude lancée à l’initiative de l’UNICEM et de l’UNPG (Union Nationale des Producteurs de Granulats), et réalisée sous la direction d’un comité scientifique incluant le Muséum National d’Histoire Naturelle
** UICN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature en France
Gros plan sur les fronts de taille sableux, habitat remarquable des carrières de roches meubles
L’extraction de matériaux dans les carrières de roches meubles induit la formation de parois sableuses ou argileuses verticales.
Les inventaires écologiques réalisés par des scientifiques ont montré l’intérêt de cet habitat pour certaines espèces d’oiseaux qui trouvent dans ces milieux minéraux des espaces de substitution aux milieux naturels qui ont fortement régressé : les berges sablonneuses des cours d’eau.
L’Hirondelle de rivage, le Guêpier d’Europe et le Martin-pêcheur d’Europe nichent dans ces micro-falaises meubles.
L’Hirondelle de rivage
L’Hirondelle de rivage (Riparia riparia) chasse près des rivages de mers lacs, rivières et étangs ou des carrières de sable. Elle a besoin pour se reproduire de dépôts meubles, mis au jour par l’action de l’eau ou de l’homme.
Dans les falaises abruptes, les hirondelles creusent des galeries d’environ 60 cm au fond desquelles elles aménagent leurs nids.
Selon la Ligue de protection des oiseaux, en Rhône-Alpes, 70 % de la population d’Hirondelle de rivage vit aujourd’hui dans des carrières en activité.
Le Martin pêcheur
Le Martin pêcheur (Alcedo atthis) niche dans des fronts de taille ou des tas de matériaux, généralement à proximité de l’eau. Cette espèce menacée au niveau européen, peu abondante et en régression, trouve régulièrement refuge sur les carrières. Elle a été observée sur 9 des 17 sites étudiés*.
Le Guêpier d’Europe (Merops apiaster)
Espèce peu commune qui vit en colonie, le Guêpier d’Europe affectionne les berges sablonneuses des cours d’eau et les falaises d’éboulis où il creuse des terriers.
Il niche volontiers dans les anciennes sablières et se nourrit, comme son nom l’indique, de guêpes, abeilles, frelons…qu’il chasse au vol, à la manière des hirondelles. De grands vols de guêpiers franchissent le détroit de Gibraltar et survolent le Sahara pour prendre leurs quartiers d’hiver en Afrique de l’Ouest.